Leila Fanner : Voyage inattendu et surprenant

J'appelle Leila Fanner par vidéo un mercredi après-midi. Je suis à Londres et elle est dans son studio, au nord-est de Cape Town. Juste à côté, je peux voir Winter Took A Sip Of Spring, l'une de ses nouvelles peintures, sur un chevalet. Il s'agit d'une femme sans visage, assise les jambes croisées, dont le corps entier, à l'exception des mains et des pieds, est remplacé par un motif floral semi-abstrait, et qui tient une tasse avec ses deux mains. Derrière la femme - et couvrant d'une certaine manière son visage - se trouve une série de coups de pinceau verts et gris, qui me font penser à un bois dense. Derrière le bois, il y a un coin de ciel violet, d'où une lune pas plus grosse que l'orteil du sujet regarde la scène. Bien qu'elle ne me ressemble pas du tout - elle n'a pas de traits faciaux, pour commencer -, la figure me semble d'une certaine manière familière.

Alors que nous discutons de son parcours et des raisons qui l'ont amenée à réaliser de telles peintures, elle dessine. En dehors du champ de vision de sa webcam, elle esquisse un personnage avec un bébé sur le dos. « Je ne pouvais pas voir les formes abstraites dans une figure » me dit-elle. C'est difficile à croire, étant donné la grâce avec laquelle son travail oscille entre l'abstraction et la figuration. J'ai appris que c'est l'abstraction qui est venue en premier. 

Méditant quotidiennement, elle explique que « le côté spirituel de la vie est extrêmement important [...] il imprègne totalement mon travail ». En tant qu'artiste, Leila Fanner était, et est toujours, intéressée par la représentation de concepts plutôt que de détails. Ce qu'elle veut peindre n'est pas quelque chose que l'on peut voir, cela n'a pas de forme physique comme les personnes et les objets. Pour ce type de représentation, les règles de la figuration lui semblaient excessivement strictes.

Il y a une quinzaine d'années, quelque chose a changé et des figures féminines ont commencé à apparaître dans ses tableaux. Elles ne ressemblaient pas, et ne ressemblent toujours pas, à quelqu'un en particulier. Parfois, elles cessent presque d'être des figures, se transformant en formes indéterminées ou en espaces vides sur la toile. Les personnages de son œuvre sont soit dépourvus de couleur, soit - comme la femme de Winter Took A Sip Of Spring - remplis de motifs. 

« Pour moi, la figure est un lieu d'attente » explique-t-elle. Il ne s'agit pas de peindre une personne réaliste, telle ou telle femme, mais de représenter une énergie féminine plus fondamentale et intime. C'est ainsi, en s'éloignant des règles pour se tourner vers l'intuition, que des figures telles que la femme et le bébé, qui prennent forme en ce moment même, ont trouvé leur place dans son travail.

Aujourd'hui, chaque tableau est, comme elle le dit « un voyage inattendu et surprenant ». Une figure humaine, un ensemble de coups de pinceau, une prairie de fleurs, un vide semblable à une personne, un ciel nuageux : tous ces éléments ont leur place dans le monde de Leila Fanner et prennent forme sans aucune préméditation. Elle n'aime pas aborder une peinture en sachant comment elle va se terminer. 

En fait, elle décrit sa façon de travailler comme « enfantine », laissant son esprit rationnel en dehors du processus, regardant un tableau se dérouler devant elle et ne pensant qu'à ce qu'il pourrait signifier une fois terminé. Je suis stupéfaite de voir comment, en agissant par pure intuition, elle est capable de produire ces images qui se situent si habilement entre le figuratif et l'abstrait, entre le physique et le spirituel.

Son travail provient d'un côté d'elle qui est à l'écoute des choses que nous ne pouvons pas voir : les concepts, les sentiments et les idées qu'elle découvre en méditant. Ces choses ne peuvent pas être exprimées dans le langage de l'abstraction stricte ou de la figuration, c'est pourquoi elle a créé son propre langage. Certains de ses motifs - les femmes, les fleurs, la lune - sont reconnaissables. D'autres ne le sont pas. Ensemble, ils forment des images auxquelles nous, spectateurs, pouvons nous identifier à un niveau qui, comme son propre processus, est enfantin.