Cela ne veut pas dire que les œuvres précédentes de Karen Turner ne s’aventurent pas dans le domaine émotionnel de ses sujets ; c’est un défi de ne pas s’engager dans une vision introspective de ses portraits qui sont physiquement gonflés d’individualité et de caractère (bien qu’ils soient volontairement « contenus » dans des toiles plus petites pour montrer comment la société « enferme » les femmes).
Au contraire, ces nouvelles œuvres demandent directement aux spectateurs d’évaluer les jugements et les préjugés qu’ils peuvent avoir lorsqu’il s’agit d’expression émotionnelle. Par exemple, Karen Turner a fait remarquer que « de nos jours, lorsqu’un homme pleure, c’est souvent considéré comme un signe de bravoure, alors que lorsqu’une femme pleure, c’est considéré comme hystérique ».
Les portraits ont toujours été le centre d'intérêt de Karen Turner, motivée par sa fascination pour la façon dont nous modelons nos apparences et, dans ce cas, notre expressivité émotionnelle, pour répondre aux attentes de la société. L’artiste britannique est connue pour célébrer les formes féminines plus larges dans ses peintures à l’huile pleines de vivacité, et pour ses commentaires sur le droit des femmes à prendre de l’espace dans un monde qui tente de les contraindre.
Malgré la nature joyeusement franche de ses œuvres, le processus de Karen Turner est raffiné et délicat, puisqu'elle ne peint qu'avec les plus petits pinceaux. Cette approche méticuleuse explique pourquoi il faut habituellement des mois pour achever ses œuvres.
Elle distingue Why Do You Have To Be So Emotional? de ses œuvres précédentes, connues pour leurs fonds blancs lisses et leurs détails minutieux, en utilisant des pastels Miami atténués, des bleus ciel et des teintes de couleur bonbon. Ce choix n’est pas simplement expérimental ; la palette de couleurs pêche sert de toile de fond contrastée aux expressions dramatiques de ses sujets, illustrant ainsi le double standard imposé aux femmes en matière d’expression émotionnelle.
Bien que colorés, les fonds restent clairs. Elle explique : « J’aime l’aspect de la chair à côté du linge propre et l’intensité du visage et du corps par rapport à la toile de fond. J’aime aussi montrer mes sujets loin de tout arrière-plan pour rappeler que nous jugeons les gens sans contexte. Je veux que les gens réfléchissent à ce qu’ils ressentent ».
En dépit de la colère et de la frustration viscérales qui émanent des œuvres de la série, celles-ci sont porteuses de pouvoir et d’espoir. L'artiste plaide non seulement pour l’exposition des femmes et des courbes dans les arts, mais aussi pour leur célébration, plutôt que pour les interprétations grotesques que l’on voit souvent dans les œuvres d’artistes tels que Lucien Freud et Jenny Saville. « J’adore leur travail ! Mais ce n’est pas le message que je veux transmettre. Je veux que mes peintures représentent des gens qui se fichent de ce que pense la société ; voilà à quoi ressemble mon corps, et je ne vais pas me cacher. »
Karen Turner continue d’inviter les spectateurs à remettre en question les normes sociétales, mais aussi à célébrer l’individualité et l’authenticité. Cette série témoigne de l’évolution de sa pratique et de son engagement à remettre en question la présentation des femmes et de leurs corps exaltés dans les arts et au-delà.