Votre travail explore la vie invisible des expériences émotionnelles et sensorielles. Comment traduisez-vous de tels sentiments intangibles en un acte physique comme la peinture ?
Eh bien, c’est quelque chose que je faisais sans m’en rendre compte au début. Pour moi, peindre est une activité physique. Je ne commence pas avec une idée, un plan ou l’intention de traduire quelque chose de précis ; je prépare simplement une toile et je me lance, suivant mes impulsions et mes envies. Je me sens bien quand je suis totalement plongée dans cette activité. Avec le temps, j’ai compris que je transposais des sensations. À certains moments, j’ai représenté mes organes, comme mes poumons ou mes reins. J’ai même peint des visages reconnaissables sans m’en apercevoir tout de suite ; il m’a fallu tourner la toile pour les voir. En somme, je peins ce qui m’impressionne, non par choix, mais parce que cela surgit naturellement.
Je suis une personne très sensible, et cela implique beaucoup de choses, dont le fait que mes sens sont exacerbés. Je capte bien plus d’informations que la moyenne, qu’il s’agisse de l’énergie d’une pièce ou des subtiles variations dans l’humeur, les émotions ou les intentions des gens. La peinture est ma façon de digérer cette sur-stimulation. Je trouve fascinant de voir ces aspects invisibles de la vie prendre forme sous la forme d’une image. C’est comme un croisement des sens – comme sentir la musique ou goûter une image. Cela ressemble à un processus alchimique, comme si je cuisinais une image. Je pourrais probablement peindre autre chose, mais cela manquerait d’authenticité. Puis, j’adore cette sensation exaltante de voir apparaître devant moi quelque chose que je n’avais jamais vu auparavant.
Vous décrivez vos peintures abstraites gestuelles comme encourageant l'« intelligence du corps à s'épanouir ». Comment votre corps influence-t-il votre processus, et le considérez-vous comme un outil d'expression ou un collaborateur ?
La façon dont vous posez la question suggère que mon corps est quelque chose de distinct de moi, comme un outil que j’utilise, presque comme si mon corps était un pinceau. Mais ce n’est pas le cas. Il s'agit plutôt de créer un espace pour que mon énergie puisse s’étendre sur la toile. À travers cela, je représente qui je suis dans toute ma complexité et mon contexte — au-delà des constructions matérielles comme le genre ou les systèmes de croyance. Peut-être que cela fonctionne à un niveau plus énergétique.
Mon atelier est un espace sûr où je peux explorer l’authenticité, quelle qu’elle soit dans l’instant présent, y compris le mouvement authentique. Que j’aie envie de danser un jour ou de rester immobile le lendemain, tous ces états émotionnels s’infusent dans mon travail.
Ma pratique est également façonnée par des expérimentations avec mon corps — via le yoga, la méditation, et des exercices de respiration — qui m’aident à connecter l’esprit et le corps. Cette connexion est essentielle pour mon bien-être, d’autant plus que j’ai tendance à vivre dans ma tête. Nos corps sont incroyablement intelligents, et si j’y prête attention, les sensations me guident vers les meilleurs choix et résultats dans mon travail.
How does your fascination with fluidity manifest in your painting practice, and do you see the concept of fluidity as a metaphor for your emotional or creative life?
Fluidity reflects the essence of life for me. In my painting practice, I pursue fluidity in both decision-making and materials. I seek to be in contact with water, both when I paint and in choosing the location of my studio, as context greatly inspires my work. This may explain why I don’t enjoy working with dry mediums or being in dry places and why I prefer paint.
Depuis mon arrivée en Belgique, je suis beaucoup plus attentive aux éléments, en particulier à l'eau et au vent, qui sont plus présents ici qu'à Barcelone. En faisant du bénévolat dans deux projets de permaculture après mon déménagement, j'ai également beaucoup appris sur la nature.
Désormais, je passe du temps à flâner dans la forêt de Soignes, observant les arbres, les plantes, les insectes et les animaux, ce qui approfondit mon lien avec le monde naturel et les éléments. Je vais aussi souvent sur la côte pour ressentir l’immensité des plages vides, les marées, les dunes et le vent. La fluidité m’apparaît comme quelque chose de plus littéral que métaphorique, même si elle opère sans doute à ces deux niveaux à la fois.
Le concept de liberté est central dans votre démarche. Selon vous, la véritable liberté est-elle une expérience physique ou davantage une construction mentale ? Comment ces questions philosophiques se déploient-elles dans votre travail ?
Je pense que la liberté doit être une expérience physique. J'essaie d'incarner ce sentiment de liberté par le mouvement et l’action lorsque je suis dans l'atelier. Cela se reflète dans ma manière de travailler — ma méthode en peinture et dans l’usage du texte — comme si personne ne me regardait. Mes coups de pinceau portent, d’une certaine manière, cette qualité, comme si la liberté en faisait partie intégrante. C’est quelque chose que je vise constamment dans ma pratique, et j’espère insuffler cette même expérience de liberté dans mes relations avec les autres.
La couleur joue un rôle central dans votre travail, représentant une fréquence ou une énergie. Sélectionnez-vous consciemment les couleurs en fonction de ces qualités énergétiques, ou émergent-elles plus intuitivement au cours de votre processus ?
Récemment, je me suis retrouvée à remettre en question le terme « intuition ». Elle est essentielle autant dans ma pratique artistique que dans ma vie, et pourtant, elle est parfois sous-estimée en peinture. Écouter mon intuition me mène souvent à faire des choix qui semblent justes et m’apportent de la joie ; cela ressemble à ma forme d’intelligence la plus authentique. Cependant, j’ai cette inquiétude que m’appuyer uniquement sur l’intuition puisse suggérer un manque d’effort ou de profondeur dans mon travail.
Je pense qu’engager pleinement mon intuition est une démarche importante. Je prends souvent le temps d’errer dans les rues, en me laissant guider par mes instincts sans objectif précis. C’est pour moi une manière de vivre, mais aussi une forme de rébellion douce contre la domination de l’esprit rationnel — le cerveau gauche, qui garde encore une emprise trop forte sur nos vies. Lorsque j’observe la nature, je ne perçois pas l’intervention de l’esprit rationnel, et pourtant, elle fonctionne parfaitement. L’intelligence, selon moi, dépasse de loin la simple logique ; l’intuition ressemble à une intelligence naturelle, intérieure.
Pour ce qui est de la couleur, je choisis consciemment les teintes en fonction de leurs vibrations énergétiques. Je me sens attirée par certaines couleurs, et cette attraction évolue fréquemment. Je passe beaucoup de temps à peindre dans des carnets, à expérimenter avec une large palette pour m’entraîner visuellement. J’ai appris que me fier uniquement à l’intellect pour choisir des couleurs peut empêcher la magie des découvertes inattendues au cours du processus — surtout lorsqu’on mélange les couleurs en réponse à l’instant présent.
Vous exprimez un lien profond avec la musicalité du langage dans votre art textuel. Pourriez-vous expliquer comment cette sonorité et ce rythme influencent votre travail avec les mots, et en quoi cela se recoupe avec votre approche des arts visuels ?
Je pense que cela dépend de l’attention que l’on porte aux sons, de l’éducation de l’oreille et d’une conscience subtile de la musicalité. Cela vient peut-être aussi de la manière dont mon cerveau fonctionne, mais je ne pourrais pas vraiment l’expliquer. À ma naissance, ma sœur aînée jouait déjà du piano à la maison, et elle a continué tout au long de mon enfance. J’ai moi-même joué du piano pendant un certain temps, et la musique était omniprésente — il y avait toujours un disque qui tournait. En quelque sorte, la musique a toujours été une compagne. Elle m’enseigne, m’aide à connecter des idées et évoque des émotions. J’ai toujours été attirée par les sons et les rythmes, et je pense avoir un esprit naturellement porté vers les pulsations.
Dans ma pratique artistique, le texte représente le rythme—structuré et cadencé—tandis que la peinture abstraite incarne la mélodie, fluide et émotionnelle. Je pense souvent à mon travail comme à une création de musique visuelle, où les deux se rejoignent. Il existe dans mon esprit un lien entre le texte, le son et l’art visuel que je n’ai pas encore pleinement analysé, mais je pense qu’il est lié à la relation corps-esprit, qui m’intéresse profondément.
Vous dites, « Nous sommes la nature ». Comment voyez-vous le rôle de la nature, non seulement comme sujet, mais aussi comme participante active dans votre art, en particulier dans vos installations ?
Quand je dis : « Nous sommes la nature », je pense à la manière dont nos corps organiques fonctionnent d'eux-mêmes, reflétant les rythmes et les cycles du monde naturel. C’est fascinant d’y réfléchir ! À l’inverse, il y a une dissonance marquée lorsque nous vivons dans des jungles de béton, entourés de gaz d’échappement et d’angles rigides – cela semble si éloigné de notre essence.
Dans mes installations, je m’efforce de créer des espaces où les gens peuvent se reconnecter à un sentiment de liberté et réfléchir à leur état émotionnel dans l’instant présent. J’invite les autres à se connecter à leurs sens, à cultiver une présence plus profonde. Cette approche est l'extension naturelle de la manière dont j’ai choisi de vivre ma vie.
Vous mentionnez que la résolution dans votre travail doit « croître de manière organique à partir du processus de peinture lui-même ». Pourriez-vous expliquer cette approche ?
Au début, mon approche était plus proche de l'action painting. Je devais physiquement évacuer des sentiments de malaise, et cette technique me convenait bien. Avec le temps, j’ai expérimenté différents supports et façons d’être : peindre en silence, assise ou debout, au sol, sur un mur, sur une table, ou encore debout tout en peignant sur une table. J’ai également exploré la peinture dans divers états émotionnels, en développant ce vocabulaire par moi-même. J’ai appris que trop réfléchir à une peinture mène rarement à des résultats satisfaisants et j’ai compris l’importance de lâcher prise lorsque je me sens bloquée.
La confiance, je crois, est essentielle, et je l’ai acquise avec la pratique. Mes gestes sont devenus plus audacieux et plus assurés au fil du temps, ce qui m’aide à mieux discerner ce qu’il faut garder et ce qu’il vaut mieux abandonner. J’ai aussi réalisé que ma spontanéité et mon esprit ludique s'inscrivent dans un cadre, une méthode que j’ai développée et qui évolue avec moi. Bien que mon travail puisse sembler spontané, il repose sur une préparation incluant le travail corporel, des habitudes saines, et des exercices comme les pages du matin ou les promenades intuitives. Cela ne veut pas dire que je ne rencontre pas de difficultés ; elles sont souvent là, mais je reviens toujours à ce qui me semble juste.
Je suis arrivée à la conviction que chaque artiste doit trouver sa propre méthodologie de création. J’ai réalisé cela après avoir visité de nombreux ateliers d’artistes. Je pensais que cela allait de soi, mais j’ai appris que ce n’est pas le cas pour tout le monde. Les artistes qui se sentent perdus dans leur pratique forcent peut-être une voie qui n’est pas naturelle pour eux, ce qui, à mon avis, est une mauvaise approche. Que ce soit dans l’art ou dans la vie, forcer les choses mène rarement à un développement authentique et organique.
Comment votre processus créatif sert-il de moyen d’introspection ou de transformation personnelle ? Pensez-vous qu’il vous aide à comprendre ou à traiter vos propres expériences autant qu’il les exprime aux autres ?
Pour moi, créer est un dialogue entre mon cerveau gauche et mon cerveau droit – entre la pensée et le ressenti, ou ce que je considère comme un équilibre entre les énergies masculine et féminine. Ce processus ressemble à une forme d’autothérapie, un moyen calme mais profond de mieux me comprendre sans avoir besoin de mettre les choses en mots. Ce voyage introspectif rejoint ce que la Dre Elaine Aron décrit comme l’expérience d’une personne hautement sensible, avec un désir constant d’insight et de compréhension.
Oui, je pense que mon travail m’aide à traiter mes expériences. Mais je ne suis pas sûre de l’impact exact que cela a sur les autres. Alors que de nombreux artistes espèrent que leur public trouvera sa propre signification, je suis moins préoccupée par une interprétation précise. Mon espoir est simplement que mon travail résonne sur un plan sensoriel.
J’ai remarqué que les personnes ayant des sensibilités similaires ont tendance à se connecter à mon travail. J’ai reçu des retours positifs de personnalités respectées dans le milieu, mais j’essaie de ne pas m’attarder sur la perception des autres. Pour moi, l’essentiel est que mes créations soient fidèles à ce que je suis.