Le pouvoir de l'art thérapie vu par Sophie Anne Wyth

Votre démarche a commencé avec l’art thérapie, qui a introduit la spontanéité dans votre travail. Comment cette spontanéité influence-t-elle votre processus lorsque vous démarrez une nouvelle peinture ?

Son impact est essentiel, car elle me permet de créer sans m'inquiéter du résultat. Au fil du temps, ma pratique est devenue bien plus structurée, mais j’ai conservé de cette approche initiale l’énergie nécessaire pour commencer, en évitant le syndrome de la page blanche ou son équivalent. Je m’accorde la liberté de faire des erreurs, de prendre plaisir à peindre, et je concentre toute mon attention sur l’acte créatif lui-même.

Votre art oscille entre abstraction et figuration. Comment choisissez-vous l’approche à adopter pour explorer des thèmes comme la psychologie humaine, le sexe et l’amour ?

Ces dernières années, je me suis éloignée de l’art figuratif. Je suis actuellement fascinée par les vibrations entre les couleurs : comment certaines ressortent tandis que d’autres s’effacent, et ce que cela exprime. Mon travail se concentre sur l’équilibre des formes et sur la recherche d’une harmonie. Je veux représenter la fragilité d’un instant, montrer que tout est en mouvement et voué à changer. Mon objectif est de capturer la beauté, l’angoisse et l’essence même du moment présent.

Vous avez mentionné que votre expérience dans la mode influence votre art, notamment en termes d’élégance et de rigueur. Pourriez-vous expliquer comment votre parcours dans la mode façonne vos traits et vos compositions en peinture ?

Le lien entre mode et art n’est pas conscient. Pendant longtemps, je les ai considérés comme des univers très distincts. Récemment, j’ai commencé à jouer avec les couleurs à travers des fils et des broderies, plutôt que de la peinture, pour créer des œuvres abstraites. Réaliser ces « peintures douces » a été une expérience libératrice, car j’ai utilisé mes compétences en couture tout en évitant volontairement de respecter les règles classiques du point. Une fois encore, cela m’a permis d’introduire liberté et jeu dans mon travail.

Avant tout, il est essentiel pour moi que mon art conserve une certaine élégance. Mes traits sont réfléchis et, d’une certaine manière, contenus, afin de garantir que le spectateur se sente ancré dans une esthétique particulière. Je ne sais pas si cette exigence vient de mon passé dans la mode, ou si j’ai choisi ce domaine parce que ce concept m’était déjà cher. Mais je suis convaincue que la beauté a un impact considérable sur nos vies, et que l’environnement dans lequel nous évoluons peut nous soutenir ou, au contraire, nous freiner.

Votre travail a été décrit comme mêlant élégance et rudesse. Comment parvenez-vous à équilibrer ces qualités opposées dans vos peintures, et en quoi reflètent-elles votre paysage personnel ou émotionnel ?

Je suppose que cela traduit la quête continue de moi-même dans mon travail. Chaque peinture est une lutte intérieure, une tentative de me rapprocher de ce que je veux réellement exprimer. Il est troublant de constater que le sens de chaque œuvre se révèle au fur et à mesure de sa création. Je suis constamment surprise par mon propre travail, et je pense que c’est pour cela que je continue à peindre. Chaque tableau m’aide à mieux comprendre un peu plus sur moi-même et sur le monde.

L’essentiel est de ne pas trop réfléchir, mais de ressentir et de se laisser guider de l’intérieur pour chaque geste. L’inconfort peut être subtil, introduit par des couleurs légèrement décalées – ni totalement désagréables, ni pleinement confortables.

La psychologie humaine semble être au cœur de votre travail. Comment canalisez-vous vos expériences émotionnelles personnelles ou des thèmes psychologiques plus larges dans votre art sans tomber dans la littéralité ?

Le thème me traverse, et je découvre, une fois l’œuvre terminée, ce que je tentais d’exprimer depuis le début. Je ne suis jamais trop littérale lorsque je laisse l’intuition guider ma main. Une couleur en appelle une autre, une forme en suggère une autre. Ces éléments, pris isolément, n’ont pas de sens précis : ce sont des moments et des pensées transformés en images. 

Mon travail s’apparente à une méditation, vécu dans l’instant et révélant un sens intérieur. Je suis toujours étonnée de voir comment chaque œuvre peut être expliquée une fois achevée, le thème que j’ai exploré en arrière-plan devenant clair et pouvant être mis en mots, alors même que je n’étais pas consciente de l’inclure. Ce n’est qu’à la fin que tout devient limpide, d’où le choix des titres toujours après coup. Chaque peinture est une recherche : certaines apportent des réponses, mais la plupart soulèvent encore plus de questions !

Pensez-vous que votre art vous procure une forme de catharsis émotionnelle ou de révélation personnelle, similaire aux bienfaits que l’on peut ressentir avec l’art thérapie ?

Mon art a débuté en thérapie, mais il a beaucoup évolué depuis. Il y a une quête intérieure, mais je pense désormais davantage à mon public et oriente mon travail de façon à ce qu’il puisse être reçu et apporter quelque chose au spectateur. Ce n’est pas une thérapie pour moi, mais une manière de rester connectée à moi-même et à mes émotions. Je le comparerais à une méditation : elle ne remplace pas un véritable travail thérapeutique, mais constitue assurément un soutien important pour mener une vie épanouie.

Vous avez exposé dans des expositions individuelles et collectives, notamment lors de la Every Woman Biennial. Pensez-vous que ces contextes différents – solo versus collectif – influencent la manière dont votre travail est perçu ?

Lors d’une exposition individuelle, tout l’espace est à vous, ce qui permet de créer un dialogue entre les œuvres. Dans une exposition collective, comme la Every Woman Biennial, vous êtes un invité parmi d’autres, et votre pièce entre en résonance avec des œuvres que vous ne connaissiez pas avant l’exposition. J’apprécie l’aspect découverte des expositions collectives, voir comment votre travail est placé en relation avec celui des autres. C’est également un excellent moyen de se faire connaître et de rencontrer des artistes talentueux. Les deux formats sont importants.

Vous avez été finaliste pour des prix prestigieux, comme le Celeste Prize. Comment cette reconnaissance a-t-elle influencé votre parcours et votre développement artistique ?

La reconnaissance est nécessaire, elle aide à croire en soi. Chaque validation extérieure, chaque reconnaissance de la part de ses pairs, est un encouragement dans la bonne direction. Cela dit, l’essentiel est d’apprécier ses réussites tout en restant concentré sur l’objectif suivant, sans jamais tomber dans l’autosatisfaction ou le relâchement. Je m’efforce simplement de savourer chaque étape du chemin.

Quel type de retour ou de réactions recevez-vous de la part des spectateurs et des collectionneurs qui se connectent aux aspects profondément personnels et thérapeutiques de votre art ?

Cela me rend toujours très heureuse lorsque des gens commentent mon travail et me disent qu’il les aide à réfléchir ou à voir les choses autrement. La plupart du temps, ils parlent de l’énergie que mes œuvres leur transmettent ou de leur aspect apaisant. Il semble que la fluidité et la solidité qui s’en dégagent soient perçues, ainsi que ce sentiment d’être soutenu. Je n’attends pas une réponse unique ou spécifique, mais chaque fois que mes œuvres suscitent des émotions ou des réactions, je me sens comblée.

Votre travail reflète vos expériences et émotions personnelles. Au fil de votre évolution, comment envisagez-vous l’évolution des thèmes ou du style dans la prochaine phase de votre pratique artistique ? Et quels défis rencontrez-vous en partageant des expériences personnelles avec le public ?

Un aspect récurrent de mon travail est qu’il me surprend moi-même. C’est ce qui me passionne : la découverte constante de mes œuvres et des parts de moi qu’elles révèlent. Mon style évolue malgré moi. Je ne décide pas consciemment d’introduire un nouveau style ou une méthode différente, cela vient de l’intérieur, et je ne fais pas qu’accepter ces impulsions, je les suis. Par le passé, je n’ai pas laissé certains gestes ou une certaine fluidité s’exprimer. J’ai été étonnée de les voir revenir quelques années plus tard, lorsque j’étais prête.

En ce qui concerne le partage d’expériences personnelles, l’abstraction permet d’éviter toute littéralité, ce qui m’empêche de me sentir trop exposée.

Avez-vous des expositions ou des projets dans lesquels vous explorerez de nouveaux thèmes ou techniques ?

J’aimerais développer une version plus grande de mes œuvres réalisées au fil et à l’aiguille. Ce serait intéressant d’utiliser des fils de différentes largeurs, imitant la taille des pinceaux, afin d’apporter davantage de texture. Mes broderies actuelles sont de petite taille et viennent d’être exposées dans une exposition collective aux Southwark Park Galleries. Je continuerai à explorer le mouvement et la fragilité des choses dans mes peintures abstraites à l’huile, et ce, à toutes les échelles.