Daniel Freaker me dit : « J'ai fait tout ce que j'ai pu pour dessiner et peindre à partir de mon imagination, mais je n'y arrive pas. » Ce n'est pas ce que je m'attendais à entendre.
Nous sommes ensemble dans son atelier de Portsmouth et nous regardons une série de nouvelles peintures, qui me semblent toutes être des œuvres de fiction... Elles représentent des espaces improbables, des structures déplacées et des personnages anonymes dans des palettes de couleurs imaginatives.
Platform of Beyond montre une femme anonyme debout au sommet d'un escalier en béton sur la rive herbeuse d'un plan d'eau ; au centre de Font of Knowledge, une image d'une salle institutionnelle abandonnée, se trouve un puits sans fond ; dans Cuboid and Pines un poney se tient, le regard détourné du spectateur, devant une maison moderniste entourée d'une forêt dense. Si ce n'est pas l'imagination de l'artiste, je me demande d'où viennent ces peintures.
J'apprends qu'ils sont construits autour d'une constellation d'influences et de références qui vont des romans de Philip K Dick à l'architecture brutaliste. Elles ne sont peut-être pas le fruit d'une pure imagination – il vaudrait peut-être mieux les décrire comme des assemblages – mais le rôle que joue l'artiste en les assemblant est crucial : « Je suis particulièrement attiré par les espaces évocateurs, les paysages et l'architecture où l'espace fait en quelque sorte écho à une expérience humaine ».
Il me parle des décors qu'il choisit pour ses peintures. Il place parfois des personnages ou des signes d'activité humaine dans ces décors, suggérant qu'ils pourraient être le cadre d'histoires inédites, mais pas toujours. Parfois, l'infrastructure elle-même suffit à capter l'imagination du spectateur.
Dans Architecture of Assent, une série de marches en béton abandonnées mène à une berge envahie par la végétation. Où mènent-elles ? Pour qui ont-elles été construites ? Ici, comme dans tout le travail de Freaker, l'ambiguïté narrative est un élément clé. Il cherche davantage à susciter des questions qu'à fournir des réponses.
« En tant que peintre figuratif, je suis à la recherche d'un langage d'expérience qui est viscéral et plus primitif que les mots. » Il n'est manifestement pas intéressé par le fait de raconter au spectateur une histoire avec un début, un milieu et une fin. Au contraire, il conçoit ses compositions de manière à donner juste assez d'informations et de suggestions pour que le spectateur puisse combler les vides à sa manière.
Bien qu'elles puissent se situer dans le même univers technicolor, il n'y a pas de lien narratif entre les œuvres et chaque image présente la même absence d'intrigue claire. Nous disposons simplement d'un ensemble d'objets, de symboles, d'espaces et de personnages que nous sommes libres d'interpréter à notre guise. Je ne peux pas savoir ce que le public a vécu en détail », explique l'artiste, « mais je cherche des choses qui m'ont touché ».
Un élément d'une peinture qui interpelle un spectateur peut être invisible, ou pertinent pour une raison complètement différente, pour un autre. Cette absence de prescription est en partie influencée par des cinéastes comme Chris Marker, Terrence Malick et Andrei Tarkovsky : « les films traitent de l'expérience humaine plutôt que d'intrigues et d'effets fascinants. »
Outre la composition et le contenu, la forme matérielle des peintures présente une qualité cinématographique. Chaque toile est chargée de traînées verticales de peinture qui ont été laissées dégoulinantes le long de sa surface, laissant des résidus de chaque couche de l'œuvre et leur permettant de se fondre en une seule par endroits. Cela crée un effet qu'il appelle le "scintillement". Comme le scintillement d'un film en bobine, il rappelle au spectateur qu'il se trouve (au moins) à un pas du sujet.
La peinture intervient dans l'image, se présentant comme la réalité ultime de ce que nous regardons. Le scintillement ressemble à un signe de tête ou à un clin d'œil de l'artiste, indiquant doucement au spectateur que, bien qu'il soit facile de se perdre dans les mondes de ses images, celles-ci ne sont en fait que de la peinture sur une toile. C'est le voyage subtil dans lequel Freaker nous emmène : du fantastique à la réalité et, en fin de compte, au matériel.