Bonjour Lucie. Merci de nous accorder cette interview ! Et si l'on commençait par vos débuts ?
J’ai toujours été guidée par la création. Petite, je dessinais. Adolescente, je me suis mise à écrire des poèmes, puis des textes et des romans à l’âge adulte. J’ai réalisé mon premier collage en 2008 à partir de Unes de journaux historiques.
J’aurais tendance à dire que c’est à partir de là que tout a commencé, mais avec le recul, je crois plutôt que ce n’était que la suite logique de mon parcours.
Rapidement, j’ai ajouté du texte et de la peinture à mes œuvres. Je me suis mise à créer mes propres images que j’imprimais, déchirais et collais sur du bois ou de la toile. Et naturellement, j’ai commencé à créer mes pochoirs et je suis venue à la peinture aérosol.
Comment se déroule une séance de création ? Par quoi commencez-vous ?
Je crée beaucoup dans ma tête ! J’imagine toujours des tableaux et j’écris souvent des phrases qui me viennent, à partir d’images que je vois et de lectures qui m’inspirent, mais également de situations que je vis et d’émotions que je ressens.
Je commence ensuite sur mon ordinateur. Je pars d’une image, très souvent une photographie. Je la retravaille, y ajoute de la couleur, du texte et je la « pochoirise » pour la rendre déclinable en peinture.
J’ai alors mon « œuvre numérique » qui servira de modèle à ma réalisation en peinture. Je crée ensuite mes différentes couches de pochoir, je découpe, je sélectionne toutes mes couleurs (phase très importante) et je passe enfin à la peinture.
À quel moment estimez-vous qu'une œuvre est terminée ?
En toute logique, l’œuvre est terminée quand ma toile ressemble à mon modèle numérique, c'est-à-dire lorsque toutes les couches de pochoir y ont été appliquées et les petites retouches faites. Mais la réelle fin du processus de création est marquée par la phase de vernissage et surtout la destruction de mes trames de pochoir.
C’est à partir de ce moment-là que l’œuvre est totalement achevée. Elle devient originale et unique. Je ne reproduis jamais deux fois la même œuvre (ou très rares exceptions) contrairement à mes confrères pochoiristes et à l’encontre du principe même du pochoir, on peut dire. Mais c’est ainsi que je travaille.
Les mots sont indissociables des images dans votre démarche. Pour quelle(s) raison(s) ? Que racontent-ils ?
L’écriture et la peinture font partie de moi, de mon parcours. Lorsque je crée, je raconte une histoire et chacune de mes œuvres a une signification, un message. Les mots viennent donc se mêler naturellement aux images. Ils complètent et achèvent l’œuvre.
Et comme je peins beaucoup de portraits, les mots viennent illustrer l’histoire de chacun, évoquant les pensées, mais aussi les parcours de vie de mes personnages, avec l’idée que nous gardons tous en nous une trace de nos expériences, de nos rencontres, comme une accumulation d’histoires et de mots – ou de « maux » d’ailleurs aussi.
J’aime l’idée qu’on ne puisse pas distinguer toujours clairement les mots sur la toile, mais uniquement deviner des lettres qui s’échappent ou qui composent un visage. Cela permet alors au spectateur de faire sa propre interprétation, de raconter l’histoire qu’il y voit de son côté.
Quelles synergies voyez-vous entre la poésie, la littérature et la peinture ?
Ce sont pour moi des disciplines à la fois similaires et complémentaires. Elles font toutes appel à l’émotion pour toucher l’interlocuteur. On s’émeut à la lecture d’un poème comme devant une toile.
Mais surtout, un poème, un écrit ou un tableau racontent tous une histoire. Celle de son auteur comme celles de son sujet. On y voit, on y ressent simplement différentes choses selon ce que l’on lit ou ce que l’on regarde lorsqu’il s’agit d’un tableau.
C’est aussi la raison pour laquelle je trouve particulièrement intéressant d’associer l’écriture et la peinture dans mes œuvres.
Le portrait prédomine. Qui sont les modèles représentés ? Comment les choisissez-vous ?
Il n’y a pas vraiment de règles. Il y a des photos qui m’inspirent, des visages d’inconnus qui me touchent et que je décide alors de retravailler pour créer un tableau et raconter une histoire. Ce sont parfois des modèles issus de photos de mes voyages, souvent celles de mon mari photographe, Audren D.
Il y a ensuite des tableaux que je souhaite réaliser et je recherche alors des photographies que je peux retravailler pour parvenir à mes fins. Il s’agit principalement de photos libres de droits, mais il m’est arrivé de me prendre pour modèle, car je ne trouvais pas d’image représentant ce que je voulais.
Et enfin, il y a les commandes particulières de collectionneurs qui souhaitent avoir un portrait de leurs enfants, de leur épouse ou parfois d’eux-mêmes. Ils m’envoient alors des photos et si le cliché m’inspire je réalise une œuvre à partir de ce modèle.
Quels sont les artistes qui vous inspirent ?
Je suis admirative du style minimaliste et percutant de Banksy, la force de ses messages, ainsi que des œuvres de Jef Aérosol et la finesse de leurs détails.
Mais mes influences trouvent leurs racines dans l’Art moderne et dans la littérature également, notamment dans la poésie de Baudelaire, de Verlaine ou encore d’Apollinaire.
Mon peintre préféré est Gustav Klimt. Le symbolisme de ses œuvres m’inspire énormément. Il y a tant de beauté, de sensualité et de messages dans ses tableaux. J’aime les œuvres qui racontent des histoires et celles de Klimt en sont remplies, tout comme les tableaux de Chagall, aux couleurs incroyables, ou encore ceux de Miró. Sans oublier Nikki de Saint Phalle, pour laquelle je suis autant fascinée par l’artiste que par son œuvre.
Travaillez-vous sur commande ? Pouvez-vous nous raconter l'une des commandes sur mesure les plus marquantes que vous ayez eue ?
Je travaille sur commande sous certaines conditions. Il faut coller à l’idée que le collectionneur se fait du futur tableau et ce n’est pas toujours facile. En général, il voit l’un de mes tableaux et souhaite « le même » mais avec son portrait ou celui de ses enfants, ce qui ne marche jamais.
Pour pouvoir travailler sur commande, je dois partir d’une photographie qui m’inspire, représentant le ou les sujets dans une situation qui me permette de raconter ma petite histoire.
Il y a quelques années, l’une de mes amies m’a commandé le portrait de ses enfants. Je lui ai demandé de me fournir des photographies de ses enfants qui lui plaisaient. Elle m’a envoyé beaucoup de portraits, y compris des photos de classe. Ça ne marchait pas car les enfants étaient statiques, le sourire figé, manquant de spontanéité, de naturel.
Je ne parvenais pas à créer quelque chose de satisfaisant à mon goût. Le temps a passé. Régulièrement, elle revenait dessus, me demandant de venir prendre moi-même les photos que je souhaitais avec mon mari (qui est photographe). Mais rien n’y faisait, ça ne marchait toujours pas.
Et puis un jour, elle publie sur son compte Instagram une photo de ses enfants en train de dormir. Un cliché un peu « volé » qui venait « cueillir » l’innocence et les rêves. Je lui ai demandé de m’envoyer la photo, j’ai travaillé sur cette base et comme une évidence, j’ai créé l’œuvre en quelques minutes. Cela faisait deux ans qu’elle attendait sa commande.
Quel message souhaitez-vous véhiculer à travers votre Œuvre ?
J’essaie d’avoir une démarche interactive et d'interpeller la sensibilité et l’imagination du spectateur, afin de questionner le monde dans lequel nous vivons, mais également d'en rappeler les valeurs essentielles telles que l'amour, l'espoir ou encore la liberté.
À travers mon travail, j’interroge aussi la place de l’écrit et le rôle de la mémoire dans nos sociétés envahies par les images immédiates et temporaires.
Je questionne sur la quête de sens face à l’apologie du selfie et des réseaux sociaux qui mettent en scène tout un chacun. C’est ma façon de lutter contre cette culture de l’éphémère et de la superficialité dans laquelle je ne me reconnais pas.