Cette semaine, Rise Art décrypte un chef-d’œuvre de la sculpture, le Baiser d'Auguste Rodin. Ce sculpteur célèbre de la fin du 19ᵉ siècle a marqué l'Histoire de l'Art et osé se démarquer de l'académisme de l'époque. Imaginée à partir de 1882, l’œuvre en marbre que nous connaissons aujourd'hui ne verra le jour qu'autour de 1898. Plongée au cœur d'une œuvre emblématique, symbole de la passion et de l'amour…
Une sculpture mythique
Vers 1880, Rodin commence à travailler sur son œuvre monumentale, la Porte de l'Enfer, illustrant des figures tirées du poème de La Divine comédie de Dante. Le couple du Baiser est donc à l'époque un des motifs de cette porte commandée pour le futur musée des Arts Décoratifs. Il se trouve alors en bas du vantail gauche.
Mais en 1886, Rodin réalise que ce couple amoureux s'intègre mal parmi les représentations de personnages torturés en Enfer, et décide de le retirer de la porte pour en faire une œuvre individuelle. C'est aussi à cette période qu'il entame une relation avec Camille Claudel, qui travaillera avec lui sur la sculpture, ce qui influencera sans doute le rendu final et la rendra plus sensuelle.
En 1888, l’État français lui commande l’œuvre en grandeur nature et en marbre. Ainsi, avant de produire la version en marbre que nous connaissons, Rodin a créé des versions plus petites en terre cuite, en plâtre et en bronze. Le sculpteur mettra près de dix ans avant de livrer l’œuvre finale et de la présenter au Salon de Paris en 1898. Aujourd'hui, cette version du Baiser est exposée à Paris, au Musée Rodin, l'ancienne demeure du sculpteur.
Cinq détails à la loupe
1. Qui sont ces amoureux ?
À l'origine, les deux amoureux représentent Paolo Malatesta et Francesca da Rimini. Ces deux personnages fictionnels sont tirés de la célèbre œuvre du poète italien Dante, La Divine Comédie (1472). Francesca, une femme mariée, tombe amoureuse de son beau-frère, Paolo.
Les deux amoureux adultères connaissent une fin tragique puisqu'ils meurent tous deux assassinés par le mari de Francesca, qui les avait surpris s'embrassant… Ce thème a été traité par les plus grands peintres, notamment au 19ᵉ siècle par Ingres.
2. Une passion littéraire
Dans la Divine Comédie, on apprend que Paolo et Francesca tombent amoureux et échangent leur premier baiser alors qu'ils lisent ensemble l'histoire de Lancelot et Guenièvre – une autre histoire d'amour passionnelle.
Dans le Baiser de Rodin, si l'on observe l'arrière de l’œuvre, on remarque que Paolo tient encore le livre en question dans sa main gauche. Sur les versions en marbre, le livre apparaît à peine, tout juste dégrossi de la pierre. Par contre, dans les premières versions de l’œuvre en terre cuite, ce livre apparaît clairement…
3. Le visage de l'amour
Un spectateur se retrouvant devant Le Baiser aura bien du mal à apercevoir clairement les visages des amoureux, qui se déroberont, enlacés et fermés au monde extérieur. Le marbre reste imprécis pour leurs traits, et les visages, loin d'être personnalisés, restent simples. Cet homme et cette femme pourraient bien être n'importe qui…
À l'origine, Rodin avait choisi pour titre Francesca da Rimini. Ce sont les critiques d'Art, qui, voyant l’œuvre pour la première fois en 1887, proposèrent de la nommer Le Baiser, un titre plus universel auquel chacun peut s'identifier. L’œuvre devint ainsi un symbole de l'amour, au-delà d'une histoire adultère fictionnelle…
4. Des mains et des pieds démesurés
À première vue, cela ne se saute pas aux yeux. Mais regardez mieux… Les mains des personnages sont disproportionnées, de même que les pieds. Ces derniers sont bien trop longs : presque autant que le mollet, ce qui est anatomiquement impossible. Les mains sont, elles aussi, trop grandes : cela se remarque notamment au niveau de la main droite de Paolo, qui se pose sur la hanche de sa bien-aimée.
Il s'agit d'une particularité propre aux œuvres d'Auguste Rodin, qui travaillait d'ailleurs ces parties du corps à part. Cette disproportion amenait de la puissance et de la force au personnage. C'est aussi grâce à cette main droite que l'on comprend mieux le déroulement de la scène. Nous sommes au moment où Paolo n'a pas encore tout à fait posé sa main sur Francesca : elle vient tout juste de le surprendre par son baiser.
5. Le travail du marbre
Le travail du marbre : voilà encore une chose qui a été reprochée à Rodin de son temps, 15 ans après le scandale de l'Age d'Airain. En effet, Rodin ne travaillait pas lui-même le marbre, mais confiait cette mission à des praticiens de confiance, ce qui provoquait l’indignation de certains critiques d'Art.
Il réalisait uniquement l’œuvre en terre cuite et en plâtre, le modèle étant ensuite transposé dans la pierre grâce à la technique des reports et des points justes. Ainsi, la première version en marbre commandée par l’État en 1888 a été réalisée par Jean Turcan.